OMC : la vraie menace est-elle le protectionnisme ?
(Ce texte a été publié comme "Lettre du jour" dans la Tribune de Genève des samedi-dimanche 4-5 décembre 1999, page 24)

"A propos de la chronique de Marian Stepczynski, "Tribune" du 25 novembre.

Le protectionnisme est présenté dans cette analyse comme le mal absolu, «mortel pour la croissance». Quelle croissance et jusqu’où, dans un monde fini et limité ? Et qu’est-ce qui prouve que le protectionnisme freine vraiment la fameuse «croissance» ? Il existe par exemple un protectionnisme élaboré contre la circulation de drogues comme l’héroïne mais cette protection est encore loin d’apparaître comme «mortelle pour la croissance» de ce marché mondial !

L’anti-protectionnisme (le libéralisme sauvage du «renard dans le poulailler») peut également être mortel pour la survie des sociétés car il peut favoriser la libre circulation de n’importe quel toxique. L’importation par la Suisse de bœuf drogué aux hormones (de croissance ou femelles) a des conséquences défavorables sur la santé -et tout particulièrement sur la fertilité- humaine. Cela est largement démontré scientifiquement. Le taux de spermatozoïdes a diminué de moitié depuis le début de ce siècle dans les pays «avancés». Notre espèce devra-t-elle arriver à la stérilité totale pour comprendre qu’il faut un protectionnisme contre les poisons, même si cela doit gêner un peu la «croissance» et la bourse ?

Si les Américains ont jugé utile de taxer à 100 % des produits du terroir français comme le Roquefort en représailles contre le courage européen de refuser le bœuf drogué, ce contre-protectionnisme ne doit pas être assimilé au protectionnisme pour le déconsidérer. Celui-ci est une mesure de protection normale au premier degré. Les réactions antiprotectionnistes (ultralibérales) de type boycott et rétorsion douanière relèvent de la guerre économique. Elles ne doivent pas être assimilées au protectionnisme mais aux méthodes brutales de l’ultralibéralisme.

A la limite, je préfère des paysans revenus au marché local, régional et national, sevrés du miroir aux alouettes du marché international, à des paysans entièrement récupérés au service d’un marché mondial technocratique. Monsieur Bové ne me contredira pas sur ce point, j’en suis certain !

En conclusion, le protectionnisme existe pour protéger les nations comme le système immunitaire existe pour protéger l’organisme : la tolérance aux éléments étrangers doit avoir une limite, qui est celle de l’immunité et de la vie. Denis Bloud"

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