(Tribune de Genève du vendredi 7 septembre 2001 - page 26 - La lettre du Jour)

Une solution pour Chypre

A propos de l’épineux problème de Chypre évoqué dans la Tribune du 6 septembre.

Genève, 6 septembre. - Le territoire annexé par les Turcs en 1974 représente environ 36 % de la surface de l'île, soit près de 3 330 km2 délimités par la ligne "Attila" que contrôlent les Nations Unies. En visite à Chypre, j'ai pu m'entretenir de cette situation avec des autochtones du côté grec. Je leur ai fait remarquer que, depuis leur indépendance en 1960, les Britanniques avaient conservé deux enclaves côtières relativement importantes (Akrotiri près de Limassol et Dhekélia) puisque représentant près de 3 % du territoire soit environ 254 km2. Je leur ai demandé s'ils accepteraient, pour régler le problème de la partition actuelle, une solution diplomatique comportant la mise en place d'une ou plusieurs enclaves turques de ce type. A ma grande surprise, les Chypriotes grecs que j'ai interrogés m'ont donné une réponse favorable! Les bases militaires anglaises, entièrement clôturées et interdites d'accès, participent cependant à l'économie générale du pays de façon indirecte. Bien que représentant une perte territoriale, elles ne remettent en effet pas en cause la souveraineté du pays. 

Il y avait eu des heurts sanglants entre les communautés grecques et turques avant l'intervention de 1974 et une solution de type partition aurait sans doute fini par s'imposer (comme ce sera bientôt le cas en Israël à mon avis). Un abandon pur et simple de Chypre par les Turcs, même pour obtenir leur billet d'entrée dans l'Union européenne, me paraît improbable, alors que la solution des enclaves militaires (et civiles) permettrait aux deux parties de sauver la face.

Le problème revient donc à une négociation diplomatique quant à l'emplacement et à la surface des nouvelles zones turques à concéder. 

[(2 phrases non publiées :) Les deux enclaves britanniques actuelles pourraient alors servir de modèle: seules les zones côtières sont réellement intéressantes au point de vue stratégique et économique (tourisme). Les Turcs pourraient par exemple conserver des enclaves indépendantes autour des villes de Kyrenia et de Famagouste, où ils sont bien établis, alors que le "mur de Nicosie" tomberait et que les Grecs pourraient circuler librement à l'intérieur des terres jusqu'à l'extrémité de la pointe de Karpos.]

L'essentiel étant que chaque communauté (musulmane et orthodoxe) puisse vivre correctement et sans les confrontations sanglantes qui avaient eu lieu entre 1960 et 1974. N'oublions pas que Chypre fut égyptienne, mycénienne, hittite, phénicienne, assyrienne... Avant l'arrivée des Anglais, l'île avait été occupée pendant trois siècles (1571-1878) par les Turcs, qui avaient remplacé les Vénitiens (1489-1570) et pendant trois autres siècles par les Francs (de 1191 à 1489): à durée d'occupation égale, l'Union européenne ne pourrait-elle pas, en tant que représentante des Croisés, revendiquer également une petite enclave stratégique sur l'île d'Aphrodite?

Denis Bloud