Illettrisme, constructivisme à la Rousseau et méthode globale

(mise à jour du mardi 28 août 2012)

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«Révolutionner l’apprentissage de la lecture»

(d’après un article paru dans le magazine "Construire" nº 36 du 4 septembre 2006, reproduit au bas de cette page)

 

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Dans le même esprit, il faut lire l’excellent livre intitulé « Journal d’une institutrice clandestine » par Rachel Boutonnet (Ramsay, 2003) ainsi que "Les Neurones de la lecture" aux éditions Odile Jacob, par Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France et membre de l'Académie des Sciences, "fermement opposé -neurosciences à l'appui- aux méthodes globales ou idéovisuelles qui ne fonctionnent pas" (réf. Science et Vie, 11/07, p. 129).

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Le texte ci-dessous est disponible en vidéo (8 min 55 s)

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Article sur la méthode Alpha, paru dans Construire-Magazine

 

Avec leur ouvrage «Méthode Alpha», Claude Huguenin (psychopédagogue) et son compagnon Olivier Dubois veulent provoquer chez nos enfants le «déclic lecture».

 

- Claude Huguenin, votre «Planète des Alphas» fait un tabac…

 

- Claude Huguenin: Comme psychopédagogue, je travaille depuis vingt ans avec des enfants qui rencontrent des difficultés, allant du simple blocage dans la lecture à des problèmes de dyslexie sévère. Or, au fil des années, je me suis aperçue que je recevais de plus en plus d’enfants qui n’auraient jamais dû venir chez moi: leur situation d’échec ne provenait pas forcément d’un trouble intrinsèque, d’ordre psychologique ou pathologique, elle résultait des systèmes d’apprentissage scolaires eux-mêmes! Ces enfants n’avaient pas eu le «déclic» de la lecture au bon moment.

 

- C’est important, ce «bon moment»?

 

- Oui, si la lecture n’est pas correctement mise en place dès la 2e primaire, l’enfant ne parviendra pas à suivre le programme, qu’il s’agisse des maths, de la géographie, de l’histoire, etc. Aujourd’hui, le nombre de gosses qui se retrouvent en échec pour cette raison-là est impressionnant. Je reçois constamment des coups de téléphone de parents d’élèves de 10, 12 ans, qui ont perdu quatre ans d’automatisation sur le plan de la lecture! Ce sont des écoliers intelligents, mais qui se retrouvent néanmoins en échec scolaire, voire parfois en classes spécialisées: j’en vois des wagons.

 

- Diable! L’école ne leur a pas donné l’apprentissage adéquat?

 

- Olivier Dubois: Tout le problème vient du fait qu’au cours des trente dernières années, pour apprendre à lire aux enfants, on a substitué à la méthode syllabique (autrement dit celle du b-a-ba) ce qu’on appelle la méthode globale. Avec celle-ci, on demande aux enfants de «photographier» les mots comme s’ils étaient des images, d’en repérer la silhouette dans un texte à lire. On part du principe qu’en apercevant le mot «maison», l’enfant va assez rapidement associer l’image, l’aspect de ce mot avec la chose qu’est une maison. De la même façon que, très jeune, il identifie facilement le sigle «coca-cola», l’enfant pourrait apprendre à reconnaître tous les autres mots. Le problème, c’est que si vous donnez à lire aux enfants le mot «cora-cota» ou «caco-calo», ils ne feront pas la différence et diront tout aussi bien «coca-cola».

 

- C’est l’un des défauts de la méthode globale?

 

Du fait qu’elle est fondée sur la seule reconnaissance visuelle, cette méthode a le grand défaut de laisser le champ libre à beaucoup trop d’approximations. Or, une seule lettre, voire un élément (une cédille, un accent…), peut changer complètement la prononciation – et donc la signification – d’un mot. Comme dans «marche» et «marché».

 

- Selon vous, cette méthode serait contraire au principe même de notre alphabet?

 

Claude Huguenin: Absolument! La méthode globale revient à apprendre à lire du français à la façon dont on lisait le chinois ancien. Le chinois ancien compte 50 000 symboles, de sorte à désigner chaque chose différemment. Seuls les mandarins le maîtrisaient. Le chinois actuel a été doublé d’un système alphabétique qui rend les choses bien plus simples. A l’inverse, nous, depuis trente ans, nous nous sommes évertués à «chinoiser» l’apprentissage du français, en donnant notre langue à lire aux enfants comme si elle était composée d’idéogrammes!

 

- Or, pas du tout?

 

- Non, pas du tout! Le génie de notre alphabet, c’est justement qu’il permet, avec seulement vingt-six lettres ou symboles, de représenter tous les mots du langage oral. La méthode globale va exactement à l’opposé de cela.

 

- Vous prônez donc le retour à la bonne vieille méthode syllabique, où l’on ânonne les syllabes: «b» + «a» se prononce «ba», etc.

 

- Olivier Dubois: Absolument pas! La méthode syllabique consiste à apprendre l’alphabet par cœur, et à en «additionner» les lettres, consonnes et voyelles, pour produire des sons. C’est-à-dire que la mise en relation se fait à partir du langage écrit. Or, il vaut mieux partir de l’oral. Ce n’est pas d’apprendre l’alphabet au tableau noir et d’ânonner des syllabes qui importe, mais de permettre à l’enfant de faire, le plus tôt possible, la découverte du principe alphabétique.

 

- Plus précisément?

 

- C’est très simple. Par «découverte du principe alphabétique», il faut entendre le «déclic» qui fait que l’enfant, soudain, met en relation certains sons avec les signes qui les représentent. Ça n’a rien d’évident pour un enfant, puisque notre alphabet est une convention purement arbitraire: on peut très bien imaginer un alphabet extraterrestre de 26 lettres, où le signe «f» se prononcerait «a» et le signe «b», «o».


- Claude Huguenin: Or, jusqu’ici, on ne disposait d’aucun outil qui permette aux enfants de faire aisément le lien entre les phonèmes (les éléments du langage oral) et les lettres de l’alphabet, si abstraites pour eux! Prenons le mot français «fil»: il faut que l’enfant parvienne à comprendre que, sur le plan phonique, ce mot se décompose en trois sons qui s’enchaînent: d’abord «fffff», puis «iiiiii», enfin «lllllll». Dans un second temps, il lui faut comprendre que ces sons ou phonèmes sont représentés par des signes: «f», «i» et «l». C’est exactement la démarche inverse de celle de la méthode syllabique.

 

- C’est donc celle que vous avez mise en œuvre pour créer «La Planète des Alphas»?

 

- La Planète des Alphas est une histoire, un conte de fées que j’ai imaginé avec Olivier. Elle se présente sous la forme ludique d’un livre d’images qui ne comprend aucun mot écrit, aucune lettre. C’est une méthode purement phonique. Ce sont les sons qui vont conduire à l’écrit. Comment? Chaque personnage est un objet animé, un animal, un monsieur ou encore une dame, dont la caractéristique essentielle est d’avoir la forme et d’émettre le son de la lettre qu’il représente. Ainsi, le «f» est une fusée dont le bruit du moteur fait ffff! Le «s» un serpent qui siffle en faisant sss! Le «o» un monsieur tout rond qui adore faire des bulles en poussant des oooh! admiratifs. Tout cela aide l’enfant à développer sa «conscience phonémique», c’est-à-dire sa capacité à identifier les différents sons ou phonèmes qui se succèdent à l’intérieur des mots. Dès que cette aptitude s’installe, il progresse très très vite.

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Claude Huguenin et Olivier Dubois. Celui-ci s’appuie ici sur un prototype géant de la fusée qui représente la lettre «f». Dans la méthode commercialisée, cette fusée ne mesure bien entendu que 7 cm.

- En même temps, les enfants s’amusent?

- Comme des fous! Un lien affectif très utile pour l’apprentissage s’instaure aussi entre eux et les personnages. J’en connais qui dorment avec les figurines en plastique (en carton dans la nouvelle version) comme avec des peluches… Qu’ils regardent tout seuls le livre, qu’ils écoutent le cédérom qui va avec ou que les parents leur racontent et re-racontent l’histoire, les enfants, avant même l’entrée à l’école, prennent ainsi conscience des liens qui s’établissent entre les sons et les lettres.

- Vous exploitez aussi la fascination naturelle qu’exerce toute histoire.

- Bien sûr. A un moment donné, la Ffffusée tombe sur Monsieur O: l’enfant entend alors «fooo». Ou bien la Ffffusée tombe sur Madame i, et cela fait «fiii». Et ainsi de suite. Ce qui compte là-dedans, c’est que le déclic se produise, que l’enfant comprenne «comment ça marche».

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De gauche à droite, on reconnaîtra le cornichon «c», Madame «d» avec son gros derrière, le monstre «m», Monsieur «a», le goulu «g» et la fusée "f".

- Une méthode miracle? La presse française a récemment titré: «Un couple de pédagogues lance le défi d’apprendre à lire à des mioches en sept jours!»

- Olivier Dubois: Ça, ce sont les impératifs médiatiques. C’est une expérience que nous avons en effet conduite avec dix enfants à Doussard, un village de Savoie. Une dépêche de l’AFP a titré: «Apprendre à lire en sept jours!» Du coup, déferlement de journalistes et de chaînes TV à Doussard… Le sujet était d’autant plus chaud que le gouvernement français avait banni les méthodes globales. Cela dit, bien évidemment, on ne peut pas apprendre à lire couramment en sept jours. Mais les enfants ont tous eu le fameux déclic dont Claude vous a parlé, certains lisant leurs premiers mots, d’autres de petites phrases simples.

- Finalement, cette nouvelle méthode a mis relativement peu de temps à faire parler d’elle.

- Claude Huguenin: L’idée m’en est venue vers 1995. Entre 1998 et 1999, j’ai conçu les personnages, nous avons imaginé l’histoire ensemble, nous avons trouvé un illustrateur et pris sur nous de faire éditer La Planète des Alphas à 5000 exemplaires.

- Quel accueil, au début?

- Olivier Dubois: Excellent auprès des gens du terrain, c’est-à-dire des enseignants. En revanche, à Genève, temple des méthodes hyperglobales, nous avons rencontré une incompréhension totale auprès du Département de l’instruction publique, mais reçu l’aval scientifique de la fondation Archives Jean Piaget. Dans le canton de Vaud, c’est grâce à la pression des enseignants que La Planète des Alphas a été mise au nombre des six méthodes officielles. Bon accueil aussi en Valais, à Fribourg.

- L’Unesco a aussi manifesté son intérêt.

- Claude Huguenin: Oui. La méthode a été adaptée à Madagascar. Actuellement, nous œuvrons à la rendre accessible dans les pays du tiers monde. Un quart de la population mondiale est analphabète, illettrée. Comment toucher cette population? Jusque dans les coins les plus reculés, les plus misérables, vous trouvez un poste TV: c’est par ce canal que nous espérons toucher un maximum de gens. Par ailleurs, chez nous, nous voulons rendre le coût de cette méthode beaucoup plus accessible.

- Elle reste trop chère?

- Olivier Dubois: Pour les familles, c’est certain. Mais cela va changer! Avec son important matériel, notre méthode s’adressait jusqu’ici en priorité aux enseignants. Dès cette rentrée toutefois, elle sera disponible à un prix plus abordable, 35 francs suisses, dans une nouvelle version tout spécialement conçue pour les familles. Les parents seront parés pour aider leurs enfants à développer tous les prérequis pour l’apprentissage de la lecture. Et provoquer le fameux déclic! On sait qu’il se produit facilement à l’âge de 4, 5 ans. Pourquoi attendre que l’enfant en ait 6 ou 7? Commencer l’apprentissage de la lecture en classes enfantines ou en jardin d'enfants, voilà bien qui serait l’idéal!

Propos recueillis par Jean-François Duval / Photos Fred Merz/REZO

Bios express

Claude Huguenin est spécialisée dans la remédiation des troubles du langage écrit. Au sein du Centre de Psychopédagogie qu’elle a créé à Genève, elle accueille des enfants en difficulté dans l’apprentissage de la lecture-écriture. De plus, elle dispense des formations aux professionnels de l’éducation.

 

Philosophe et écrivain, Olivier Dubois s’intéresse depuis de nombreuses années aux recherches effectuées dans le domaine de la psychologie cognitive de la lecture. A côté de la «Méthode Alpha», destinée au grand public, le couple a aussi élaboré tout un matériel pédagogique à l’intention des enseignants, pour lesquels il s’attache également à mettre en place d’indispensables cours de formation.

Claude Huguenin et Olivier Dubois, «Méthode Alpha», Eveil et Découvertes, 35 CHF. L’ouvrage est en vente dans les M-Electronics et les plus grands magasins Migros de Suisse romande. http://www.planete-alphas.net - olivier.dubois@formator.ch

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